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« Mon bon ami, mon bon ami, me dit-elle, les yeux rayonnants d’une joie de prédestinée je l’ai vu enfin, ici, tout près de mon lit. C’est lui ! cette fois, j’en suis sûre. Tout semblable au portrait que le bon Dieu a gravé en moi, avec des cheveux blancs, comme je vous l’ai dit. C’est lui ! je vais guérir. — Tant mieux, mère Jary. Mais racontez-moi donc comment ce bonheur vous est arrivé. — Il était au milieu de beaucoup de médecins et d’élèves : il semblait être leur chef. Oh ! que sa voix était douce ! Il s’approchait de mon lit ; mais je ne sais ce qui est arrivé : il a disparu au moment où je lui criais : « Paul ! mon fils ! » et j’ai perdu connaissance. La bonne sœur m’a fait revenir à moi, et je le lui ai dépeint. Il reviendra faire la visite demain ; elle a promis de l’amener à mon lit. C’est lui ! c’est lui ! revenez demain, revenez. »

En l’écoutant, je jugeai que le sentiment de toute sa vie s’était transformé en un délire qui présageait sa fin, malgré la plénitude de sa voix, la vivacité de son regard et la force avec laquelle sa main serrait la mienne. Le lendemain elle n’était plus, heureuse d’avoir fini au plus beau moment du songe qui seul put lui donner la force de supporter cinquante ans de misère et de larmes !

Son histoire, que j’aurais voulu pouvoir raconter avec la simplicité naïve qu’elle mettait à ses récits,