Page:Béranger - Ma biographie.djvu/65

Cette page a été validée par deux contributeurs.

faisant une image toujours plus parfaite, d’année en année. Je l’ai vu tout petit ; je l’ai vu grandir, devenir homme, et je le vois aujourd’hui dans son âge mûr. Il me ressemblait ; il aurait eu ma force ; il vit, mon cœur en est sûr. Dès que je suis seule, il est toujours devant mes yeux : il n’y a pas longtemps que je me suis écriée : « Combien tu as déjà de cheveux blancs, Paul ! » et je l’ai vu me sourire tristement. Il aura sans doute aussi éprouvé bien des peines. Je ne sais cependant pourquoi je m’imagine qu’il a fini par faire une brillante fortune. Je ne puis me le représenter que bien vêtu ; mais, dût-il être en haillons, que je le presse sur mon cœur avant de mourir ! »

Avec quel intérêt j’écoutais cette mère se créant ainsi l’image du fils qu’elle rêvait sans cesse ! Qu’on ne croie pas que cette femme eût le cerveau malade : elle était au contraire d’un sens rassis et droit ; mais la sensibilité maternelle avait été développée à ce point par la solitude et le besoin d’aimer. Le cœur d’une mère est une source inépuisable de miracles.

S’apercevant de l’émotion qu’elle me faisait éprouver : « N’est-ce pas que je le retrouverai ? — Je l’espère comme vous, mère Jary. S’il était mort, vous perdriez la faculté de le voir ainsi. Dieu ne voudrait pas se faire un jeu d’une affection si touchante. » La joie brillait dans les yeux de la pauvre femme, qui s’empressa d’ajouter : « Je me suis dit cela bien