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« Quelque peine qu’il eût à parler si longtemps, il fut obligé de me redire les mêmes choses plusieurs fois ; car il voyait que, dans mon abattement, je ne l’avais ni compris, ni entendu. Il ajouta : « La croix ne s’effacera pas. Je l’ai marquée avec un fer chaud ! — Avec un fer chaud ! » m’écriai-je saisie d’horreur et m’éloignant de lui comme j’aurais pu le faire d’un assassin. « Rassure-toi, me dit le malheureux Gaucher ; j’y ai pris tant de précautions, qu’à peine a-t-il poussé un gémissement. »

« Mon trouble ne s’apaisa que par le projet que je formai en moi-même de courir bientôt reprendre mon enfant. Mais mon état, qu’empira sans doute la violence du chagrin, ne me permettait pas de sortir, et dès la nuit même, après les efforts de tout genre qu’il venait de faire, Gaucher tomba dans des convulsions que je crus être son heure d’agonie. Le médecin ne me laissa aucun espoir, et, n’étant plus payé, cessa ses visites. Gaucher languit encore dix jours, et c’est lorsque l’espérance me revenait, qu’après une crise affreuse je reçus son dernier soupir. Pauvre ami ! qu’il était honnête et bon ! Dieu aura eu pitié de son âme. Oh ! que de fois j’ai prié pour lui la Vierge et son saint patron !

« Hélas ! mon cher monsieur, voilà quarante-huit ans de cela, et, depuis ce moment, je n’ai eu que son souvenir et celui de mon fils pour unique