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ses poésies avec une modestie défiante, M. Thiers lui dit : « Savez-vous comment je vous appelle, Béranger ? Je vous appelle l’Horace français. — Qu’en dira l’autre ? » répondit-il avec un sourire. Un autre jour il parla de Dieu et de l’avenir avec des paroles étranges et d’une voix inspirée.

Mais ces heures de réveil furent rares.

La sœur de Béranger, religieuse cloîtrée, ne le voyait qu’une fois l’an depuis son entrée en religion. Elle vint le voir, autorisée par l’archevêque et accompagnée d’une autre religieuse. La porte lui fut ouverte ; elle embrassa son frère, reçut ses embrassements, se retira et ne put revenir ; mais elle témoigna sa reconnaissance aux amis de Béranger et envoya chaque jour chercher des nouvelles. M. l’abbé Jousselin, l’ancien curé de Passy, devenu curé de Sainte-Élisabeth, avait retrouvé Béranger dans sa paroisse. Ils avaient parlé encore de leurs pauvres. Lorsque la maladie de Béranger sembla toucher à son terme, M. le curé lui vint rendre visite. Leurs conversations furent rares, très-courtes et peu importantes. Il y en a une, la dernière, que l’on a racontée de manières bien différentes. Au moment où M. l’abbé Jousselin, pour se retirer, tendait la main à Béranger, Béranger lui dit d’une voix nette : « Votre caractère vous donne le droit de me bénir. Moi aussi, je vous bénis. Priez pour moi et pour tous les malheureux : ma vie a été celle d’un honnête homme. Je ne me rappelle rien dont j’aie à rougir devant Dieu. »

Le 28 juin, on avait cru que Béranger allait mourir dans la journée. L’excessive chaleur l’accablait et exaspérait ses souffrances ; mais le temps se rafraîchit ; il vécut quelques jours encore. C’était à qui le veillerait, à qui le soignerait, à qui mettrait le pied sur le seuil de sa porte.

Plusieurs dames, quand le mal fut à son comble, réclamèrent le privilège de leur ancienne amitié et envièrent à