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tique. En vain le flot irrésistible du temps avait mené les chefs de l’école vers les rivages du pays démocratique, les derniers adeptes nourrissaient, dans leur cœur ignorant, les anciennes passions gothiques. Épris d’un inexplicable amour pour le moyen âge, qui est si plein de douleurs et de larmes, ils avaient restauré les chapelles, repeint les vitraux, imité la sculpture étrange des siècles de foi. Ils rajeunissaient la poésie sans la fortifier ; ils attristaient la pensée humaine sans la calmer ; ils proclamaient la souveraineté de l’art et ils pervertissaient dans les arts la notion du beau. Le romantisme et le néocatholicisme cheminaient ainsi côte à côte dans le même sentier, entre les arbres et les fleurs mélancoliques. Chemin pittoresque, voyage aimable, si notre imagination charmée, mais énervée, n’avait fait payer à notre raison le prix de ses rêves. Ces poëtes, ces artistes, ces archéologues, même lorsqu’ils aimaient la liberté moderne, n’ont qu’à regret consenti à reconnaître la renommée de Béranger.

Et tout cela parce que de 1820 à 1830 il y avait eu en présence deux armées littéraires : l’une, héritière du dix-huitième siècle, composée d’hommes qui avaient traversé les orages politiques et qui se souciaient plus des idées nouvelles que des mots nouveaux ; l’autre, plus jeune, plus ardente, recrutée en partie dans les familles qui, sous l’Empire, avaient gémi de l’oppression de la pensée, poussant l’orgueil de l’indépendance poétique jusqu’au mépris, jusqu’à l’ignorance des lois et des idées modernes, professant un culte enthousiaste pour toutes les choses renversées par la Révolution et se jetant aveuglément dans une ivresse que devaient suivre de si longs repentirs et tant d’amers désaveux.

Les bannières rivales ont disparu ; mais il est resté quelque chose encore de la rivalité. Un souvenir littéraire a ainsi prévalu sur la justice.