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Ce n’est que depuis 1848 que la renommée de Béranger a cessé d’être inviolable. Jusqu’alors on s’était habitué à l’aimer comme le Tyrtée, à le vénérer comme le Franklin de la France. Depuis, ces mots-là ont fait rire bien des gens. On comprend que le clergé et la noblesse, que ses chansons détrônèrent en 1830, lui aient gardé une rancune silencieuse ; mais ce qui étonne, c’est que la bourgeoisie, qui l’admirait, se soit à la fin tournée contre lui et qu’elle se soit plu à venger elle-même leurs injures.

C’est une querelle de littérature qui a préparé la réaction dont on a vu un instant réussir les efforts. Les premiers destructeurs de cette renommée sont précisément des écrivains, des poëtes, des artistes, des archéologues de l’école roman-

    coup sûr mais il n’apercevait la république que loin, bien loin encore dans l’avenir, parce que la génération contemporaine ne lui paraissait pas propre à fournir des républicains ; parce que, dans la plupart de ceux qui se proclamaient tels, et qu’il jugeait sincères, il ne découvrait qu’aspirations généreuses où il cherchait des convictions réfléchies ; parce qu’enfin beaucoup d’entre eux, suivant lui, prenaient follement pour de la dignité personnelle le mépris de toute discipline et l’envie pour l’égalité. Je me souviens qu’un jour il me dit, avec un sourire doucement moqueur « Vous êtes trop pressé, mon enfant ; vous parlez de république ? Mais, dans une république, il faut un vice-président, attendu que le président peut tomber malade. Or trouver aujourd’hui quelqu’un qui se contente d’être vice-président, voilà le difficile ! » Cette sagesse si fine, si tranquille, si prompte à s’effaroucher néanmoins, et qui volontiers s’exagérait, sous le rapport de l’observation, le mauvais côté des choses humaines, disposait mal Béranger à accepter une situation quelconque dans la tourmente de 1848. Nommé membre, malgré lui, d’une assemblée qui couvait des colères implacables, il n’en eut pas plutôt entendu les sourds grondements, qu’il pressentit les suites. Il n’était pas homme à se méprendre sur la portée de la lutte qu’il voyait s’engager entre les élus de la province et Paris. Y avait-il chance qu’il intervînt d’une manière tant soi peu efficace ? Le déchaînement des passions réactionnaires, au début même, la fin de non-recevoir opposée à la plus légitime des demandes, le refus du peuple d’assister à une fête de la Concorde inaugurée sous de pareils auspices, les clameurs de la presse, l’exaspération des clubs, tout cela semblait annoncer qu’un conflit, et furieux, était désormais inévitable ; Béranger, convaincu de son impuissance à le prévenir, demanda que sa vieillesse ne fût point condamnée au désespoir d’y figurer. » (Extrait d’une lettre de M. Louis Blanc à M. Paul Boiteau.)