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« Pour que l’étendue de ma popularité ne vous trompe pas plus sur ma valeur comme citoyen qu’elle ne me fait illusion sur mon mérite de poëte, écoutez-moi bien, je vous prie.

« Mes soixante-huit ans, ma santé si capricieuse, mes habitudes d’esprit, mon caractère, gâté par une longue indépendance, achetée chèrement, me rendent impossible le rôle trop honorable que vous voulez m’imposer. Ne l’avez-vous pas deviné, chers concitoyens ? je ne puis vivre et penser que dans la retraite. Oui, je lui dois le peu de bon sens dont on m’a loué quelquefois. Au milieu du bruit et du mouvement, je ne suis plus moi ; et le plus sûr moyen de troubler ma pauvre raison, d’où peut-être est sorti plus d’un conseil utile, c’est de me placer sur les bancs d’une assemblée. Là, triste et muet, je serai foulé aux pieds de ceux qui se disputeront la tribune, où je suis incapable de monter. Poser, parler, même lire, je ne le puis en public et, pour moi, le public commence où il y a plus de dix personnes. Une circonstance de ma vie, mal interprétée par plus d’un, vous en fournit la preuve.

« Un fauteuil à l’Académie française, ce corps illustre, unique dans le monde, est, certes, la plus belle récompense que puisse ambitionner un écrivain. Eh bien, cet honneur, j’ai constamment refusé de le rechercher, parce que je sais que mes habitudes de caractère et d’esprit ne s’arrangeraient pas des usages de cette compagnie, usages bien loin pourtant d’être aussi absolus que ceux d’une assemblée législative.

« Mes chers concitoyens, j’ai été, depuis 1815, l’un des échos de vos peines et de vos espérances. Vous m’avez souvent appelé votre consolateur : ne soyez pas ingrats. En m’assignant une trop grande importance, vous ôterez à mes conseils le poids que leur donne ma position exceptionnelle. Dans les luttes politiques, le champ de bataille se couvre de morts et de blessés. Sans regarder au drapeau, en vrai soldat