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à y gagner, et elle y perdrait momentanément. Qui sait même si les hasards heureux ne pourraient pas finir par être en notre faveur ? En France, la portion remuante, énergique, voudrait la guerre ; quelques-uns par patriotisme plus ou moins éclairé ; beaucoup d’autres, parce qu’on suppose qu’elle tournerait au détriment du pouvoir actuel. Quant aux masses, la paix, je crois, est ce qui leur convient le mieux.

« Il est plus aisé de voir dans l’avenir que dans le présent. Ce que fait l’Angleterre achèvera de détruire sa puissance, surtout si elle réussit à s’emparer d’une portion de l’Égypte. Les Russes ou les Français l’en chasseront un jour, et, avant ce jour, elle éprouvera l’épuisement que causent à une nation les conquêtes hors de proportion avec son territoire ; elle aura le sort des nations qui se laissent diriger par leurs intérêts commerciaux. Vous êtes peut-être assez jeune pour voir le commencement de cette grande débâcle, qui serait aujourd’hui un malheur pour le monde entier, car aucun peuple n’est en mesure de remplacer l’Angleterre dans son action de civilisation matérielle. Quant à la civilisation intellectuelle, dont nous paraissons être chargés, il me semble que nous nous en acquittons assez mal depuis quelque temps ; mais enfin, ce qui doit être fait se fera ; quand ? je ne sais. »

Et au milieu de ces mouvements de son cœur et de ces agitations de sa vie, au milieu de toutes ces lettres écrites à l’amitié sur des sujets graves, que d’autres lettres, comme toujours, écrites au profit des malheureux !

Au mois d’avril 1841 Béranger était de nouveau établi, avec son amie fidèle, dans ce village de Passy qu’il aimait tant à cause du bois de Boulogne et du voisinage de la Seine. Ses voyages étaient terminés. Il n’avait plus à visiter à Péronne sa vieille tante du Mont-Saint-Quentin, qui était morte, et il ne devait plus sortir de chez lui que pour aller deux ou