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un vin trop fort. Il oublia, pour une heure, et sa gloire présente et ses plus chers souvenirs. C’est alors que, fou de douleur, voulant et ne voulant pas donner son nom et toute sa vie, tout son cœur à une étrangère, il s’échappe tout d’un coup de la ville où lui avait été faite la blessure. Il s’échappe, il disparaît, cachant sa trace, et, pour la première fois de sa vie, osant ne pas dire la vérité. On était à la fin d’avril. Ce n’est point trahir un secret, c’est révéler un noble mystère que de suivre le poëte dans sa fuite et jusque sous ses bois de Fontenay où il eut à lutter contre la passion et à la vaincre.

Toute la fin de l’année 1840 et le commencement de l’année 1841, Béranger resta dans le village ignoré de Fontenay-sous-Bois, ne sortant que pour se jeter avec ses pensées dans les taillis de Vincennes ou pour descendre sur les bords de la Marne, à peine visité par deux ou trois amis, et, de toutes les illustres personnes qu’il distinguait, n’ouvrant sa porte qu’à Lamennais, dont la liberté était alors menacée. Quand il fut condamné (au mois de décembre), Béranger lui offrit sa maison perdue dans les bois. Lorsqu’il fut incarcéré à Sainte-Pélagie, ce fut pour l’aller voir que Béranger fit sa première course à Paris.

Il écrivait encore, au milieu de ce trouble de sa vie, des lettres excellentes et toutes pleines de vues lointaines. L’Europe était alors menacée par un amoncellement d’orages. Béranger disait, et ici comme partout éclate son admirable raison :

« Tout se complique de façon à n’y rien démêler. La guerre semble pourtant plus sûre que la paix ; mais avec un roi qui la craint et qui ne manque pas de ruse, avec un ministre qui ne manque pas de jactance, mais qui n’a pas de puissants appuis, il est impossible de rien préjuger. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’Angleterre ne veut pas la guerre avec nous ; elle n’a rien