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où je n’ai eu à jouer qu’un rôle bien court, à l’aide d’un talent bien borné. Je me garderai donc d’écrire dans un journal, quel qu’il soit. « Mais vous ne signerez pas, » me direz-vous. Alors, mon cher ami, à quoi vous serviraient quelques méchants articles, quand vous êtes là tous pour en faire de bons ? Car on ne peut mentir à sa nature ; je suis né artiste ; la forme me préoccupe toujours. Or, il n’est pas possible que je m’arrange du journalisme. Voilà surtout pourquoi je n’ai jamais voulu prendre ce métier. Est-ce à cinquante-sept ans que j’en ferai la folie ? Aujourd’hui que je tâche de mettre en ordre ce qu’il me reste d’idées, et que j’y procède bien lentement, avec toute liberté, je ne sais si, un de ces jours, je ne jetterai pas au feu le peu que j’ai écrit, tant je me trouve loin de ce qu’il me faudrait être. J’ai toujours manqué de confiance en moi. Avec cela, si les circonstances ne vous ont formé de bonne heure à la rédaction improvisée, on ne doit point aborder la presse quotidienne.

« Habituez-vous seulement à resserrer votre style ; les trop longs articles sont la mort des journaux, et vous devez le mieux savoir que moi. Vous me pardonnerez cette observation, qui sent un peu le vieil ouvrier. J’ai répondu à Thomas[1], il y a peu de jours, et, comme je l’ai fait à la hâte, je crains de lui avoir écrit des sottises. Voyez comme je suis propre à faire des journaux : entre autres choses, je lui conseillais une censure des feuilles publiques, sous le point de vue moral. En effet, mon ami, je ne reviens pas de ma surprise quand je vois tout ce que la presse, et même celle d’opposition, contient de pervertissant pour le peuple. Et puis, voulez-vous que je vous dise ? c’est que tous, et le National lui-même, laissent percer un fond d’aristocratie qui me confond. Cela tient à ce qu’on fait généralement plutôt du républicanisme doctrinaire que de

  1. M. Ch. Thomas, alors directeur du National.