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tout le monde aurait profité. En 1848, ce sont de tels écrits, signés d’un maître vénéré, qui ont manqué à la nation et qui, manquant, l’ont laissée faire fausse route. Que ceux du moins qui, pour dire quelque chose, l’accusent d’avoir flatté sans cesse et de n’avoir jamais instruit le peuple, s’ils oublient tant de nobles vers, lui tiennent compte de cette tentative de vieillard. Puisque Béranger, à cet âge, ne s’est pas jugé capable de mener à terme sa tâche, il faut l’en croire, car il est toujours sincère. Peu après l’art même du vers allait lui échapper.

Et, quand j’allais, par de nouveaux concerts,
Peuple dauphin, t’instruire à la clémence,
Dieu ne veut plus que je fasse des vers.

En 1837, au mois de septembre, M. Trélat, devenu rédacteur en chef du National, pria Béranger, dont il connaissait bien la passion pour tout ce qui touche à l’instruction et à l’éducation du peuple, d’écrire quelques articles dans le journal qu’il allait diriger. Nous ne pouvons mieux faire, pour peindre l’état de l’âme de Béranger à cette époque, que de détacher la plus grande partie de la lettre qu’il écrivit en réponse à cette demande :

« Que venez-vous me proposer, mon cher ami ! Moi, me faire écrivain politique, à présent que j’ai rompu avec le monde, que j’ai pris ma retraite, et qu’enfin on commence à m’oublier, grâce au ciel ! Cette retraite a été de bonne foi. Je ne suis pas la nymphe de Virgile ; beaucoup de gens de mon âge, et plus âgés même, ne peuvent vivre que de bruit et se jettent dans la mêlée sous le vain prétexte d’utilité, pour obtenir que leur nom ne manque pas d’échos. Bien différent, je vois le mien s’éteindre avec une sorte de satisfaction. Vous le savez pourtant, cette indifférence s’arrête à ce qui me regarde ; mais je suis si convaincu que je ne puis être utile à la cause qui m’est chère, que je me garderai toujours de remonter sur le théâtre