Page:Béranger - Ma biographie.djvu/386

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grands hommes a été plus utile et par conséquent plus douce à Lamennais qu’à Béranger. Non que celui-ci n’ait pas beaucoup aimé la grande intelligence blessée qui cherchait refuge auprès de sa raison ; mais cette raison même, si constante, si nettement équilibrée pendant toute sa vie, faisait qu’il fut assez longtemps à vaincre un peu de surprise en présence d’un ami qui lui venait de si loin et à travers tant d’étonnantes aventures. Et dans les derniers jours, si les admirateurs exclusifs de Lamennais veulent croire que Béranger ne lui a point assez marqué sa tendresse, c’est que le génie âpre de son ami ne lui semblait pas exempt de quelque dureté à de certaines heures, et que, par nature, la tendresse de Béranger s’attachait surtout aux âmes tendres, et qu’il aimait avec le plus d’effusion les bonnes gens. Par exemple, Béranger n’approuvait pas que Lamennais eût retranché son neveu de son cœur, après qu’il l’avait élevé et chéri comme une mère, sans autre motif qu’un dissentiment de doctrine politique en un moment de la vie sociale où tout allait par sauts et par chocs.

Mais ces observations n’ont en réalité que très-peu de valeur, car il est incontestable que Lamennais ne s’est jamais plaint que Béranger fût trop froid pour lui ; et, de son côté, Béranger n’a jamais cessé d’exprimer sa chaleureuse admiration pour le plus vigoureux peut-être, le plus hardi et le plus profondément navré des génies de la France moderne.

À Tours, dans sa jolie maison de la Grenadière, qu’il trouvait pour lui, plébéien, trop jolie, trop large, trop garnie de rosiers et de tilleuls, il s’appliqua à cet ouvrage utile dont il voulait doter nos passions impatientes et qu’il aurait dû nous donner, même imparfait et au-dessous de son rêve. Quel malheur que Béranger se soit découragé ! « Je ne sais rien, dit-il ; j’ai eu tout à découvrir, tout à deviner. Oh ! que de peine ! » Nous aurions un livre unique que tout le monde aurait lu et où