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Il voyait la science qui multipliait ses miracles, qui inventait la vapeur, qui domptait l’électricité, et il espérait que le monde allait enfin être organisé. Les petites querelles du temps de la Restauration sont déjà bien loin ; il ne s’agit plus de droits à maintenir, il s’agit de la multitude, qu’il faut, pensait-il, tirer de sa rude misère et éclairer, et qui ne doit plus être réduite par la faim et l’ignorance et par la jalousie à adorer les divinités sanglantes d’autrefois.

Il eût voulu, par ses dernières chansons, qui sont comme un testament pacifique, nous apprendre enfin à nous aimer d’une amitié sincère ! Il eût voulu nous conduire, sans faux pas, à cette organisation, à cette émancipation générale du monde humain qu’il entrevoyait dans les révolutions les plus lointaines ! Quand le sol de la Chine fermente, quand l’émigration chinoise annonce à l’Europe que trois cent millions de travailleurs entreront tôt ou tard dans la communion civilisatrice, Béranger voit la politique nouvelle qui s’avance. Cette préoccupation a été l’objet de ses méditations dernières.

Et cet homme qu’animaient de si grands songes, cet homme si fier et si humble, sur quelle place publique, où alla-t-il porter sa parole ? Il allait obscurément visiter ses amis pauvres, il consolait les affligés, il ouvrait sa bourse aux désespérés, il relevait même les coupables.

Des illustres amis qui lui sont venus sur le tard, il n’y en a pas qu’il ait aimés autant que Lamennais et M. de Lamartine. Celui-ci ne connut Béranger que lorsqu’il fut revenu à Paris, après 1840. Lamennais l’avait recherché même avant d’écrire les Paroles d’un Croyant. Quelques amis de l’illustre écrivain ont pensé que Lamennais a plus aimé Béranger que Béranger n’a aimé Lamennais. Cela est possible, car encore faut-il bien que de deux amis l’un soit plus tendre ou plus ardent que l’autre. Mais il est bien certain que cette illustre amitié de deux