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ces lettres et en rencontrant parmi elles tant de preuves de son zèle pour toutes les souffrances, qu’il n’avait pas quitté Paris pour renoncer à ses charges de charité. Non ; et jusqu’au bout Béranger aima non moins les hommes que l’humanité. Il servit l’une par ses écrits, il servit les autres par ses actions.

La retraite même paraissait éclaircir aux yeux de Béranger la confusion des événements : à distance il les comprenait mieux et jugeait plus sûrement.

« Il faut que vous sachiez bien, écrivait-il un peu plus tard à Lamennais, que je n’ai de valeur que dans la méditation. La discussion fait évaporer le peu d’idées qu’il y a en moi. J’ai, d’ailleurs, une conscience méticuleuse qui m’empêche d’être homme de parti ; je ne suis qu’homme d’opinion. Encore même sur ce point y a-t-il à redire ; car le patriotisme, sentiment qui ne vieillit pas en moi, me barre le chemin toutes les fois que je puis craindre que l’application de mes principes ne compromette le pays. Vous le voyez, je ne suis qu’un chansonnier. Mais croyez que je ne vis pas en égoïste. Je suis comme l’ermite qui, sur la grève, adresse des vœux au ciel pour ceux qui bravent les tempêtes, en regrettant de ne savoir tenir ni la barre ni la rame. »

Il méditait donc, il ne voulait pas discuter il ne sacrifiait pas son opinion, mais il ne voulait appartenir à aucun parti. Il comptait que la liberté, dont il avait fait triompher la cause, suffirait pour faire l’éducation du peuple ; il s’inquiétait surtout de ses misères, auxquelles il avait consacré ses dernières chansons, et il priait Dieu en philosophe, le Dieu de la concorde et de la paix, pour que l’aurore pacifique éclairât le plus tôt possible l’horizon. Il a chanté la guerre glorieuse de la Révolution, mais il ne croyait pas que la guerre est sainte.

Près de la borne où chaque État commence,
Aucun épi n’est pur de sang humain.