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misse sur les rangs, j’aimerais mieux sur-le-champ faire à chacun de vous dix visites, même à l’archevêque, et j’irais dès six heures du matin (il fait pourtant bien froid) attendre à la porte de votre secrétariat pour me faire inscrire. Une nomination non sollicitée ! y pensez-vous ? Vous figurez-vous une entrée triomphale plus écrasante pour ma pauvre réputation ? Empêchez cela, je vous prie, et lisez ma lettre à vos messieurs, si vous le jugez nécessaire. Mais je suis fou ! cette crainte est chimérique. Non, jamais l’Académie française ne voudra descendre ainsi de sa haute position devant un poëte de guinguette. Comment ferait-elle pour moi ce qu’elle n’a pas fait pour le divin Molière ? Je ne suis qu’un chansonnier, messieurs ; laissez-moi mourir chansonnier.

« Encore quelques mots. Il m’est impossible de me faire à l’idée d’être asservi à ma réputation. J’ai tout fait pour vivre séparé d’elle, et vous voulez que je la suive dans votre palais, où elle n’a jamais eu mission d’entrer ! Attendez, attendez un peu d’ici à trois ou quatre ans, il ne sera vraisemblablement plus question d’elle ! Sans doute alors je serai assez peu philosophe pour en avoir quelque regret ; mais vous et moi, messieurs, nous ne serons plus contraints de nous en occuper ; même alors vous rirez de bon cœur des façons que j’aurai faites, et il vous sera permis de croire que j’en éprouve un repentir tardif. Ce qu’il y a de certain, c’est que j’en apprécierai encore mieux votre bienveillance actuelle.

« Quant à vous, mon cher Lebrun, soyez bien persuadé que je serai en tout temps plein du souvenir de votre amicale insistance, et que ma gratitude bien sincère s’étend sans réserve à tous les académiciens qui ont pu désirer de m’avoir pour collègue. En fait d’honneur, me voilà content ; je n’en demande et n’en veux pas davantage, et sauvez-moi de tout le reste, en dépit du besoin que je puis avoir du petit traite-