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ne distribue pas des croix d’honneur aux braves restés sur le champ de bataille ? »

Il y a aussi un inconvénient (car c’en était un pour lui), que Béranger croyait qu’il éviterait définitivement en se retirant loin de Paris. Pour plusieurs raisons, qu’il a déduites plus d’une fois avec le plus grand sens et le plus grand art, il ne voulait pas faire partie de l’Académie française, et à chaque vacance qui se produisait dans cette compagnie, ses amis, les journaux et le public ne manquaient pas de l’assaillir pour l’inviter à y demander un fauteuil.

La grande lettre adressée à M. Lebrun, le 21 janvier 1835, mérite d’être transcrite ici tout entière. Il n’y a pas d’endroit où Béranger ait mieux marqué ce qu’il pensait de son rôle, de ses œuvres, de son caractère ; il n’y en a pas où l’excellence de son âme soit plus visible pour tous les yeux et plus respectable. Il disait à cet ami :

« Votre lettre ne m’est arrivée que ce soir, mon cher Lebrun, et je me hâte d’y répondre, tant je suis affligé de voir qu’après notre dernière conversation vous ne vous rendiez pas encore aux raisons qui m’empêchent d’aller frapper à la porte de l’Académie française. Vous devez pourtant être bien convaincu que ces raisons sont sérieuses, au moins pour moi, et surtout qu’elles sont très-sincères.

« Je vous répète donc que, si j’avais fait autre chose que des chansons, je ne trouverais aucun obstacle, littéralement parlant, à m’inscrire parmi les aspirants au fauteuil. Mais, par des causes trop longues à exposer, je tiens à ne pas enrégimenter académiquement ce petit genre, qui cessera d’être une arme pour l’opposition le jour où il deviendra un moyen de parvenir. Et puis-je fournir, moi, à ceux qui ne manquent jamais d’attaquer les choix de l’Académie, l’occasion de rabaisser, à cause de moi, un genre auquel je dois tant et que je suis parvenu à