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pouvoir ont changé peu de chose à mes calculs, tout en fortifiant mes espérances. De là, prince, les dix années de vie prédites à un trône qui a l’air si débile. Si le parti républicain n’eût pas lui-même commis des fautes que sa position rendait sans doute inévitables, nous serions plus près peut-être du dénoûment. Ce parti n’a pas encore appris à bien connaître la France nouvelle : aussi rêve-t-il l’impossible. C’est sur les intérêts créés par la Révolution qu’il faut fonder aujourd’hui, et il a trop souvent eu l’air de menacer ces intérêts. Heureusement, nous autres Français, c’est sous les coups de nos ennemis que nous nous disciplinons, et les coups ne nous manquent jamais. Les éléments républicains sont beaucoup plus nombreux que ne se le figurent et ceux qui redoutent et même ceux qui désirent la République. Mais, selon moi, ils seront encore longtemps à se coordonner. Toutefois, en France, nous pensons bien vite et nous agissons de même. Mais nous n’agissons que lorsque la conspiration des idées se rencontre sur la place publique avec celle des sentiments populaires : or ces jours-là sont rares dans un siècle. Voilà ce qui me fait voir, dans un temps encore éloigné, la chute de ce qui est aujourd’hui, habitué que je suis à toujours considérer les choses du côté le moins favorable.

« Prince, j’ai cru nécessaire de vous exposer quelques points de ma manière de voir, pour vous en faire juge. Je ne vous dirais pas tout, si je n’ajoutais qu’aujourd’hui, vivant dans la retraite, il est vraisemblable que je ne suis plus dans la meilleure position pour modifier l’opinion que j’ai eue d’abord. Vous le savez, il faut toujours se méfier des rêvasseurs. Ajoutez même que, dans l’intérêt de la République que je rêve, je souhaite qu’elle ne fleurisse pas trop tôt. Le plus grave reproche que je fasse au gouvernement actuel, c’est de la faire pousser en serre chaude.