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bien que nos idées ne se trouvent dans un complet désaccord. Loin de moi, monsieur, le désir de vous faire adjurer les opinions que vous avez professées pendant toute votre glorieuse carrière. Vous vous rappelez peut-être ce que j’eus l’honneur de vous dire à ce sujet lors de votre dernier discours à la Chambre des pairs, et ce mot de ma chanson : Va, sers le peuple. Certes, je ne vous parlais pas de servir le ministère. Ah ! monsieur, je n’aime pas à faire le prophète, bien que quelques-uns aient voulu me faire passer pour tel. Mais, si votre voix était assez puissante pour faire encore asseoir un squelette sur des ruines, vous pourriez voir s’augmenter considérablement la haie des tombeaux entre lesquels vous dites, en termes si touchants, que votre vie achève son cours. Tout chétif que je suis, le mien pourrait bien être du nombre, car, loin de fuir les persécutions, je ne fuirais que ceux qui pourraient me les éviter. Ne trouvez-vous pas qu’alors il y aurait quelque chose de plaisant à vous voir passer près de l’endroit où reposeraient les os du chansonnier ? Cette hypothèse me fait sourire et m’ôte la gravité nécessaire pour continuer ma lettre sur le ton que j’avais pris. Revenons aux chansons. »

Béranger parle alors de celle qui a pour refrain le vers :

Chateaubriand, pourquoi fuir ta patrie ?

C’était par de tels échanges et en écrivant avec lenteur quelques chansons pour un dernier recueil qu’il charmait les ennuis de sa retraite. Mais celui qui avait voué toute sa vie à faire le bien avait-il le loisir d’être longtemps affligé par la politique ? Quand le découragement le prenait, il se souvenait de telle ou telle infortune qu’il s’était chargé d’adoucir et il l’adoucissait, soit en sollicitant autrui, soit en ne s’adressant qu’à lui-même.