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Il lui écrivit de Genève (le 24 septembre 1831) une lettre qui a fait beaucoup de bruit lorsqu’il l’eut fait imprimer en tête d’une brochure sur la Nouvelle proposition (de M. de Bricqueville) relativement au bannissement de Charles X et de sa famille. Il n’est pas indifférent de transcrire ici la première page de cette lettre.

« Si vos talents étaient d’une espèce moins rare, si vos tableaux ne réunissaient à la correction du dessin l’éclat ou la suavité du coloris, je me contenterais de vous remercier de l’ode que vous avez bien voulu m’adresser, et d’être profondément touché de votre bienveillance ; mon orgueil chatouillé trouverait même, dans cette ode, telle rime qui exciterait au plus haut point mon enthousiasme. Mais ce n’est pas la redevance d’une gratitude vaniteuse que je vous viens payer, c’est le tribut d’une admiration sincère. Un grand poëte, quelle que soit la forme dans laquelle il enveloppe ses idées, est toujours un écrivain de génie. Pierre de Béranger se plaît à se surnommer le chansonnier ; comme Jean de La Fontaine, le fablier, il a pris rang parmi nos immortalités populaires. Je vous prédis, monsieur, que votre renommée, déjà sans rivale, s’accroîtra encore. Peu de juges aujourd’hui sont capables d’apprécier ce qu’il y a de fini et d’achevé dans vos vers, peu d’oreilles assez délicates pour en savourer l’harmonie. Le travail le plus exquis s’y cache sous le naturel le plus charmant.

« Au reste, monsieur, dans la préface de mes Études, vous considérant comme historien, j’ai remarqué que cette strophe était digne de Tacite, qui faisait aussi des vers :

Un conquérant, dans sa fortune altière,
Se fit un jeu des sceptres et des lois,

    m’écrivait, du fond de sa tourelle : « Réjouissez-vous, monsieur, d’être loué par « celui qui a souffleté votre roi et votre Dieu. »