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de l’humanité et de raison éclairée par l’expérience pour m’empêcher de lancer contre les peuples nos rivaux les mêmes malédictions que leur prodiguait ma jeunesse.

Ce sentiment si vif, d’autant plus vif peut-être que, dans le monde, je l’ai concentré de bonne heure, ainsi que tous mes autres sentiments, a influé jusque sur mes jugements littéraires. Mes amis se sont parfois étonnés du peu de goût que m’inspira Voltaire, malgré mon admiration pour son rôle de réformateur et pour la merveilleuse fécondité de son puissant génie. Cette espèce de froideur[1] dans l’appréciation d’une partie de ses œuvres n’a pas attendu qu’on en fît une mode en France ; elle date de l’époque où, jeune encore, je crus m’apercevoir de ses préférences injustes pour les étrangers ; et je le pris presque en haine lorsque plus tard je lus le poëme où il outrage Jeanne d’Arc, véritable divinité patriotique, qui, dès l’enfance, fut l’objet de mon culte. Voilà ce que je n’oserais dire aujourd’hui, si j’avais insulté Napoléon mourant captif des Anglais.

Qu’on me pardonne d’insister sur cet amour de la patrie qui fut la grande, je devrais dire l’unique

  1. « Il est temps que toute justice soit rendue au vieillard de Ferney. Les hommes de la génération qui l’a suivi ont été ingrats bien promptement envers lui. Moi-même, je le reconnais, je n’ai pas toujours été assez respectueux devant cette grande figure de prophète. » (Lettres de Béranger, 25 juin 1855.)