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ment difficile à manier, dont il faut longtemps apprendre à se servir avant d’en user bien. Or j’étais à l’âge où l’on n’apprend plus qu’à se mieux rendre compte chaque jour de tout ce qu’on ignore[1].

  1. On ne doit pas oublier ce couplet de chanson : À mes amis devenus ministres.

    Sachez pourtant, pilotes du royaume,
    Combien j’admire un homme de vertu,
    Qui, regrettant son hôtel ou son chaume,
    Monte au vaisseau par tous les vents battu.
    De loin ma voix lui crie : Heureux voyage !
    Priant de cœur pour tout bon citoyen.

    Sa doctrine était qu’on ne doit pas refuser, à cause de ses opinions, des fonctions où l’on peut être utile. En 1836, lorsque M. Pierre Leroux songea un moment à demander une place de bibliothécaire, Béranger écrivait à M. Jean Reynaud (Correspondance, t. II, p. 373) :

    « Votre lettre m’était inutile, comme justification ; je savais tout ce que vous pouviez me dire, et je vous avoue que, d’après ma manière de voir, ce n’eût été que dans le cas d’une conduite opposée que vous auriez eu besoin de vous justifier à mes yeux. Si j’ai tout refusé, c’est que je ne suis plus propre à grand’chose. De plus, il y a dans ma situation de républicain travaillant à faire un roi par intérêt patriotique, par calcul de raison, une singularité qu’il fallait sanctionner par une vie désintéressée, qu’on s’obstine toujours à méconnaître chez ceux qui s’utilisent dans les emplois. Mais vous ne sauriez croire avec quel regret je vois les gens capables et honnêtes refuser les fonctions où ils pourraient rendre service à la nation. Sous le ministère Martignac, on parlait d’appeler Dupont (de l’Eure) à la Cour de cassation ; vain bruit, sans doute ! Je lui écrivis qu’on ne devait, à aucune époque, sous aucun gouvernement, refuser de rendre la justice au pays. Un médecin qui consulterait son opinion pour servir les hôpitaux vous paraîtrait-il homme estimable ? Non, certes ; et pourquoi donc le savant n’irait-il pas au poste où ses lumières s’utiliseront au profit de tous ? Nous avons une morale bien étroite, mon cher enfant, et notre intelligence moderne est furieusement faussée encore par les exemples de