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osé me parler, de peur de se compromettre ; mais, Charles X tombé, je pouvais quelque chose, et ces messieurs cherchaient partout aide et conseil pour reconquérir leurs grandeurs éclipsées, à ce point que plusieurs se sont faufilés au faubourg Saint-Germain pour y faire ratifier leurs titres nouveaux par l’ancienne noblesse. Les infidélités que ces nobles récents ont fait à leur origine plébéienne m’ont rendu moins tolérant pour eux que pour ceux qui devaient leurs préjugés au vieux sang et à l’éducation. Je crois que la nation entière en jugeait ainsi. Passant à Compiègne, que l’Empereur et sa cour venaient de quitter ; nous étions, je crois, en 1808[1] ; je rencontrai sur la route une vieille paysanne qui, d’une figure joyeuse, m’aborde et s’écrie : « Ah ! monsieur, je l’ai vu enfin ! — Qui donc ? lui dis-je, feignant de ne pas le deviner. — L’Empereur ! l’Empereur ! réplique-t-elle. Il m’a saluée. Il salue tout le monde. Ce n’est pas comme ces seigneurs qui sont auprès de lui. On voit bien que ceux-là ne sont que des parvenus. » La pauvre femme ne voyait pas un parvenu dans l’homme que la gloire avait élevé si haut. Le peuple non plus ; mais, sauf les grands noms militaires, il estimait bien peu les personnages de cette cour si brillante, où cependant figuraient de

  1. Au mois d’avril 1810. (Voir la Correspondance, t. I, p. 121.)