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me lança une épithète qui n’avait rien de sacramentel, finit la messe à la hâte, et regagna la sacristie en jurant qu’il ne m’admettrait plus à l’honneur de servir l’autel. Je n’avais nulle envie d’y retourner. Il me plaisait bien plus d’écouter parler politique. Il est inutile de rapporter toutes les circonstances qui expliquent comment, si jeune, je pris tant d’intérêt à notre grande Révolution et jusqu’à quel point dut s’exalter mon patriotisme.

Dans quelle triste anxiété nous jetait alors, ma tante et moi, l’invasion des armées coalisées, dont les avant-postes dépassèrent Cambrai ! Le soir, assis à la porte de l’auberge, nous prêtions l’oreille au bruit du canon des Anglais et des Autrichiens assiégeant Valenciennes, à seize lieues de Péronne. Chaque jour l’horreur de l’étranger grandissait en moi. Aussi, avec quelle joie j’entendais proclamer les victoires de la République ! Lorsque le canon annonça la prise de Toulon, j’étais sur le rempart, et, à chaque coup, mon cœur battait avec tant de violence, que je fus obligé de m’asseoir sur l’herbe pour reprendre ma respiration.

Aujourd’hui que, chez nous, le patriotisme sommeille, ces émotions d’un enfant doivent paraître étranges. On ne sera pas moins surpris si je dis qu’à soixante ans je conserve cette exaltation patriotique et qu’il faut tout ce qu’il y a en moi d’amour