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respectable M. de la Rochefoucauld-Liancourt[1], qui avait la bonté de m’en faire reproche : « Monsieur le duc, ce n’est point, croyez-moi, une ridicule humeur démocratique qui m’empêche de me rendre à vos instances. Je sens l’honneur que vous me faites ; mais j’ai un dictionnaire différent de celui qui est en usage dans vos salons. Jusqu’à ce que j’eusse feuilleté le vôtre, je ne serai, chez vous, qu’un sot ou qu’un muet. » J’ai, en effet, eu l’habitude de me soumettre aux manières et au ton de ceux chez qui j’allais ; sauf à n’y pas retourner, quand le travestiment me coûtait trop. J’aurais pu dire aussi au duc que je n’ai jamais été à mon aise avec les gens que je ne connais pas, au moins de nom. Ils me préoccupent jusqu’à ce que je les aie devinés, et m’ôtent toute liberté d’esprit. M. de la Rochefoucauld se rendit si bien à mes raisons, que, voulant me prier, en 1818, de faire une chanson pour fêter, à Liancourt, le départ des troupes étrangères, il me demanda rendez-vous chez moi ou dans un café. On peut croire que je me hâtai de l’aller trouver chez lui. Je

  1. François-Alexandre-Frédéric de la Rochefoucauld-Liancourt, né le 11 janvier 1747, mort le 27 mars 1827, fils du duc d’Estissac. Le père de Béranger, en Anjou, avait été un instant notaire d’une des justices seigneuriales de la duchesse d’Estissac. On sait quel triste éclat eurent les funérailles du vieux duc de la Rochefoucauld. La foule, qui avait voulu porter sa bière, fut chargée par la gendarmerie et le cercueil tomba dans la boue.