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ne puis-je joindre quelques lettres de mon illustre et excellent ami Lamennais, qui, ainsi que moi, voudrait, tant que nous pussions, achever de vieillir ensemble ! On trouverait aussi, dans ses lettres, la preuve que, partis souvent des points les plus opposés, des hommes de cœur peuvent venir faire, un jour, alliance sous les bannières de la patrie et de l’humanité. Raison puissante pour que, dans les luttes d’opinion, on ne se laisse jamais aller à la haine, ni aux injures contre les individus, dès qu’on peut voir en eux des adversaires de bonne foi. Si un mauvais cœur, bel esprit, sans doute, a dit : « Conduisons-nous avec nos amis comme s’ils devaient être, un jour, nos ennemis, » un homme de bien a corrigé ainsi cette horrible maxime : « Conduisons-nous avec nos ennemis comme s’ils devaient être, un jour, nos amis ; » et c’est ce que je me suis souvent dit. Quant au mot d’ennemi, je l’emploie parce qu’il m’est offert là, car je n’ai donné ce nom à qui que ce soit. Au contraire, aurais-je pu donner le nom d’ami à trop de monde, si j’avais été de nature à le prodiguer et à céder à toutes les avances.

J’ai eu même la réputation de me refuser à presque toutes les invitations qui m’arrivaient de tant de côtés. Les grands seigneurs de l’ancienne noblesse, qui soutenaient l’opinion libérale, n’ont, entre autres, jamais pu m’attirer chez eux, et je disais, un jour, au