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Le plus grand tourment des maisons de détention, et quelquefois il est affreux, c’est le spectacle d’irrémédiables infortunes, imprudemment encourues, et des natures dégradées qu’on y rencontre. Qui le croirait pourtant ? Ce n’est pas là qu’un misanthrope trouverait le plus d’arguments contre cette pauvre espèce humaine. En revanche, le philosophe, en rencontrerait de terribles contre les lois qui nous régissent, quoique moins imparfaites pourtant que celles qui ont pesé sur nos pères.

Pendant ma détention, j’éprouvai une vive contrariété. Mes jeunes amis voulurent ouvrir une souscription pour le payement de mon amende, qui montait, avec les frais judiciaires et le décime de guerre, à onze mille cinq cents francs[1]. Je prévoyais le peu de succès qu’elle aurait. On était fatigué de souscriptions ; puis les classes ouvrières n’y concouraient pas, dans l’idée qu’on avait que les banquiers, mes amis, se hâteraient d’acquitter cette dette politique. Mais les banquiers, fort généreux en paroles, se laissent faire les honneurs de tout, au meilleur marché possible ; je ne l’ignorais pas, et m’étais arrangé de sorte que ces messieurs ne fussent pas de la cotisation. J’aurais aussi voulu n’avoir pas cette obligation au public, car il est un peu banquier de sa nature

  1. 11,098 fr. 48 cent. En 1822, le procès ne coûta à Béranger que 602 fr. 05 cent.