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une idée singulière traversa encore mon esprit. La tragédie ne m’avait jamais inspiré un vif attrait : c’était le seul genre que je n’eusse pas tenté. L’idée me vint de m’y essayer, à force d’en faire le sujet de mes conservations avec Talma[1], que j’étais toujours si heureux de rencontrer. Je lui prêchais l’étude des tragiques grecs, aussi vrais, mais bien plus poétiquement vrais que les espagnols, les anglais et les allemands. Sans compter que, par une naïve intelligence de l’art, ils me semblent avoir un avantage même sur Corneille et sur Racine. Disons pourtant que ceux-ci ont fait ce que j’appellerai le théâtre résumé, le plus difficile de tous, celui où la poésie est presque toute dans la composition. Par là s’explique le mot de Racine : « Ma pièce est faite, je n’ai plus qu’à en faire les vers. »

En effet, en cinq actes assez courts ils résument, au profit de la morale ou des sentiments, toute une vie, toute une passion, tout un caractère, ainsi que les événements d’invention ou réels, auxquels ils rattachent leur nom. C’est, au théâtre, la plus haute poésie possible ; il est surprenant qu’on ne l’ait pas toujours reconnu pour Corneille et Racine, lorsque personne ne le nie pour Molière, qui, il est vrai, est arrivé à une perfection plus grande que

  1. Talma est né à Paris, le 15 janvier 1766, et y est mort le 19 octobre 1826.