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lons, qu’à cet égard on a calomniés. Ne faites pas de votre pauvreté une gêne pour les autres ; sachez en rire à propos, et l’on y compatira sans blesser votre orgueil. Ce que je dis là, je l’ai souvent répété à nos jeunes gens, qui, trop épris du luxe aristocratique, rougissent d’en être privés. S’il ne veulent compromettre ni leur honneur ni leur indépendance, qu’ils s’apprennent à dire : « Je suis pauvre. »

Ce rôle d’Aristophane, qui m’avait paru si beau à l’âge de vingt ans, sans le génie, mais aussi, du moins il me le semble, sans l’acrimonie du poëte athénien, je le jouai, non au théâtre, où il n’est peut-être plus possible, mais dans tous les rangs de la société française. Il me suffisait de donner ou de laisser prendre copie de mes nouveaux couplets pour les voir, en peu de jours, courir toute la France, passer la frontière et porter même des consolations à nos malheureux proscrits, qui erraient alors sur tout le globe. Je suis peut-être, dans les temps modernes, le seul auteur qui, pour obtenir une réputation populaire, eût pu se passer de l’imprimerie. À quoi ai-je dû cet avantage ? Aux vieux airs sur lesquels je mettais mes idées à cheval, si j’ose dire, et au bon esprit qui ne me fit pas dédaigner la culture d’un genre inférieur qui ne menait point aux honneurs littéraires. Parmi les hommes qui s’adonnaient aux lettres à cette époque, aucun, j’en suis convaincu,