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de sauvagerie ; pourtant, dès notre première rencontre nous nous sentîmes faits pour une intimité que peu de jours établirent et que la mort seule pouvait rompre. Il fréquentait habituellement la maison de M. Laffitte, et ce fut lui qui m’y entraîna. Jamais je n’ai beaucoup aimé messieurs de la finance, ni leurs salons dorés ni leur société bruyante. « Il n’y a point d’affection à attendre là, disais-je à Manuel ; mais il y passait une grande partie de son temps ; je l’y suivis et j’ai eu à m’en féliciter. Si la position politique de Laffitte m’a fait repousser ses offres affectueuses, je ne lui en ai pas moins d’obligations pour les services que son amitié m’a fourni l’occasion de rendre à beaucoup de mes amis intimes et pour le grand nombre de malheureux qu’il a secourus à ma recommandation. J’ai eu aussi le bonheur de pouvoir être utile, en de graves circonstances, à ce grand citoyen, doué d’autant d’esprit que d’honneur, d’autant de bonté que d’imagination, mais dont la vive intelligence ne s’appliqua pas assez à connaître les hommes ; ce qui l’a rendu victime de plusieurs de ceux même qu’il avait comblés de bienfaits. C’est en vain, au reste, qu’on a tenté d’accumuler les calomnies sur sa vieillesse si agitée ; le bon sens populaire en a toujours fait justice : encourageant et noble exemple pour ceux qui, comme Laffitte, consacrent toute leur existence au service de leur pays !