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lui, et il était loin de m’en savoir mauvais gré[1].

Un perpétuel besoin d’émotions fit de Constant un

  1. L’une des lettres de Benjamin Constant à Béranger fait voir jusqu’où allait, en 1829, l’influence du poëte populaire.

    « Mon cher Béranger, lui écrivait-il, le 29 janvier 1829, bien que votre lettre contienne plusieurs choses qui auraient pu m’affliger ou me blesser, il y règne, surtout vers la fin, je ne sais quel fonds d’amitié et d’intérêt qui a produit ce singulier effet, qu’elle m’a causé plutôt du plaisir que de la peine. Vous êtes un des hommes vers lesquels je me suis senti le plus attiré ; plusieurs circonstances ont, à diverses reprises, combattu cet attrait sans le détruire ; elles ne m’ont pas refroidi au fond du cœur, mais gêné et éloigné. J’ai ouvert votre lettre, j’y ai trouvé de l’amitié, et je viens m’expliquer avec vous dans le désir sincère que vous me compreniez et que vous m’approuviez.

    « Je prends votre lettre phrase par phrase : je ne travaille ni ne m’oppose à la fusion. Je suis de votre avis sur ce qui m’est personnel. Je crois que ceux qui veulent se pousser pensent à eux et non à m’associer à leurs succès, s’ils en ont ; et moi-même je n’achèterais pas le plus grand succès par l’abandon du moindre principe. Si vous pensiez que j’ai des vues ambitieuses, vous commettriez une erreur qui m’étonnerait de votre part. J’ai soixante ans j’ai combattu pour la liberté, non sans quelque gloire ; j’ai rendu des services assez grands ; j’ai acquis ce que je désirais, de la réputation. Mon seul vœu, la seule chose à laquelle, à tort ou à raison, mon imagination s’attache, c’est de laisser après moi quelque renommée, et je crois que j’en laisserais moins comme ministre que comme écrivain et député. Je veux qu’on dise après moi que j’ai contribué à fonder la liberté en France, et on le dira longtemps après que les coteries, celles qui me repousseraient si j’essayais d’en être, aussi bien que celles qui me calomnient près de vous, ce qui me fait beaucoup plus de peine, seront enterrées et oubliées.

    « Quant à la popularité, je l’aime, je la recherche, j’en jouis jusqu’ici, avec délice ; mais je la dois aussi à la manière dont j’ai toujours dit toute ma pensée. Si je tentais de l’exagérer, je perdrais mon talent, comme si je m’avisais de la démentir. Vous croyez apercevoir dans mes lettres au Courrier des tergiversations ; vous êtes