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Le lendemain de l’entrée des étrangers à Paris, une centaine de nos soldats, faits prisonniers dans nos murs, furent amenés par un détachement allemand et traversèrent les rues peuplées d’ouvriers. Ceux-ci, voyant des Français blessés, couverts de sang, crurent d’abord qu’on les conduisait aux hôpitaux ; mais, instruits que c’est à l’état-major ennemi, campé aux Champs-Élysées, qu’on les mène, ils poussent des clameurs et se disposent à délivrer ces malheureux restes de nos défenseurs, lorsque, soit hasard, soit prudence, les chefs de l’escorte lui font gagner les boulevards, où de fervents royalistes stationnent pour stimuler leurs agents. J’étais là : à la vue de nos pauvres soldats prisonniers, souffrants, mutilés, des vivats s’élèvent du groupe des bourboniens : de beaux messieurs et de belles dames se mettent aux fenêtres pour applaudir les soldats étrangers et ne pas manquer leur part d’une telle infamie. Ce n’était pas seulement la patrie insultée, c’était l’humanité méconnue.

Un spectacle non moins honteux, mais moins triste, me frappa sur la place Vendôme, où plusieurs des royalistes dont je viens de parler s’évertuaient à renverser du haut de la colonne la statue de l’Empereur, dont on avait à dessein déchaussé le socle. Des chevaux et des hommes attelés à de longues cordes tiraient cette grande figure, qui restait inébran-