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j’ai souhaité le bonheur des autres, au moins autour de moi. Mes prières sont loin d’avoir été exaucées.

En dépit de quelques folies de jeunesse et des épines que la misère laisse toujours aux jambes de ceux qui l’ont traversée, c’est de ce moment que ma vie put prendre un essor plus régulier. Je sortais d’une époque critique, surtout pour les hommes dont l’intelligence se développe d’elle-même et, pour ainsi dire, au hasard. De vingt-six à trente ans, il s’élève en eux un combat entre l’imagination exaltée par le sens et la raison éclairée par un commencement d’expérience, où celle-ci ne triomphe pas toujours. Quelle qu’en soit l’issue, le champ de bataille en est profondément remué. La lutte fut en moi aussi douloureuse que longue[1], et il me semblait par instant

  1. « Quel avenir ! Quoi ! toujours dépendre des autres ! devoir à tout le monde ! Ne vaudrait-il pas mieux mettre un terme à tant de peines que d’être continuellement obligé de montrer à ceux qui nous entourent un front serein et joyeux, qui contraste si fort avec ce qui se passe en nous ? Ah ! mon ami, je cherche en vain à m’étourdir : l’âge va bientôt m’ôter cette dernière ressource.

    « N’allez pas, au moins, montrer cette lettre à nos amis. Quand je serais avec eux ; ils se défieraient de ma gaieté. » (Lettre du 6 février 1809.)

    « Je puis me tromper ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que ma philosophie se fortifie de plus en plus, et que la promenade et l’air de la campagne me sont plus nécessaires que jamais. La poésie est pour moi maintenant une occupation douce qui ne me nourrit point d’idées chimériques, mais qui n’en charme pas moins tous mes instants. Voilà du moins ma situation actuelle. Il faut que je vous avoue pourtant que le dernier ouvrage de Chateaubriand a réveillé en moi le désir des