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est bizarre que moi, qui de bonne heure, me pressentant une carrière incertaine, évitai tous les engagements qui eussent alourdi le bagage du pauvre pèlerin, je me sois toujours vu charger d’assez pesants fardeaux. Ma confiance en Dieu m’a soutenu, et ce n’est pas ma faute, si ceux, au sort desquels je me suis intéressé, n’ont pas su mettre à profit les privations que je me suis imposées pour leur éviter les ornières du chemin que j’ai parcouru. J’en gémis souvent ; mais quel cœur n’a sa plaie ? Au vieux soldat reste toujours quelque blessure qui menace de se rouvrir. Pour tout bonheur, et cela est bien vrai,

    des ressources, il n’eut plus que Béranger pour appui à partir de 1809. Béranger se conduisit jusqu’en 1840 comme le meilleur des pères. Il essaya d’abord d’instruire son fils lui-même, et il fit les sacrifices nécessaires pour le mettre en pension quand il vit que sa peine était inutile. Aidé par Judith, il parvint ainsi à le mener à l’âge d’homme. Mais Lucien Paron n’a cessé d’être un pénible fardeau pour son père. Un peu après sa vingtième année, Béranger dut chercher à lui procurer un emploi aux colonies et chercha à lui donner le goût du commerce en sacrifiant d’un coup quinze mille francs pour lui faire une pacotille. Tout fut dépensé sans profit. Béranger, sans se lasser, lui fit jusqu’à sa mort une pension annuelle de mille francs. Lucien Paron est mort à l’île Bourbon dans une petite case où il vivait avec une négresse, sans travailler à rien, et n’ayant d’autre occupation que celle de la pêche. Béranger lui a plusieurs fois offert de lui donner son nom et de le reconnaître s’il voulait changer de conduite.

    Il y a dans la Correspondance de Béranger plusieurs lettres qu’il a écrites à son fils : ce sont des chefs-d’œuvre de raison, de bonté et de simplicité. Rien n’honore plus Béranger que ces lettres.