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de M. Lucien. Fontanes n’en fit pas plus attention au pauvre diable qui lui était recommandé, bien qu’Arnault lui eût fait l’éloge de mes essais littéraires. On parut d’abord vouloir me laisser le choix entre deux ou trois mille francs d’appointements. L’emploi inférieur d’expéditionnaire donnant, comme on sait, fort peu d’occupation à l’esprit, me parut mieux convenir à un rimeur, et je lui accordai la préférence.

    suis, Monsieur, avec le plus profond respect, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

    « P. J. de Béranger. »

    « P. S. M. Arnault doit avoir la bonté de vous confirmer les détails que j’ai l’honneur de vous donner. »

    « On saisit bien, ce me semble, dit M. Sainte-Beuve (1852), dans cette lettre digne, mesurée, touchante, le point de départ littéraire de Béranger, et comment il a dû suppléer à tout. Fontanes répondit à cet appel du jeune homme ; mais nous voudrions savoir ce que dirait aujourd’hui quelqu’un de nos célèbres poëtes, en s’entendant appeler tout simplement un poëte distingué. » Cette note est juste et finit par un trait piquant ; mais M. Sainte-Beuve s’est trompé, sans le savoir, en disant que Fontanes répondit à l’appel de Béranger. Il lui mesura sa faveur et chercha même à le dégoûter de tout emploi. Béranger était un ami de Lucien. Fontanes, qui devait à Lucien son élévation, traitait alors les amis de Lucien disgracié comme des gens dangereux. Il était pourtant d’un naturel doux et d’une humeur obligeante ; mais ces personnages, qu’un heureux hasard et les services d’une plume servile ont élevés à de grands postes, sans que leur mérite y réponde, deviennent bientôt jaloux et ombrageux. Ils sentent plus vivement qu’on ne croit ce qu’il y a de factice dans leur grandeur et d’incertain dans leur fortune. Napoléon ne s’y méprenait pas. Se frappant la poitrine, un jour qu’on lui parlait des beaux discours de Fontanes « C’est très-bien, dit-il, mais il n’y a pas de cela. » C’était traduire le Pectus est quod facit disertos de Quintilien.