Page:Béranger - Ma biographie.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quante ans j’ai vu de près le pouvoir, je n’ai fait que le regarder en passant, comme, dans ma jeunesse indigente, devant un tapis vert chargé d’or, je m’amusais à observer les chances du jeu, sans porter envie à ceux qui tenaient les cartes. Il n’y avait de ma part ni dédain ni sagesse à cela : j’obéissais à mon humeur. Les réflexions qui viendront se mêler à mes narrations se sentiront donc du terre à terre de l’existence qui m’a plu. Aux grands hommes les grandes choses et les grands récits ! Ceci n’est que l’histoire d’un faiseur de chansons.

Si l’on choisissait son berceau, j’aurais choisi Paris qui n’a pas attendu notre grande Révolution pour être la ville de la liberté et de l’égalité, et celle où le malheur rencontre peut-être le plus de sympathie. Je vins au monde le 19 août 1780, chez mon bon vieux grand-père Champy, tailleur, rue Montorgueil, dans une maison encore debout aujourd’hui[1].

À me voir naître dans une des rues les plus sales et les plus bruyantes, qui eût pensé que j’aimerais tant les bois, les champs, les fleurs et les oiseaux ?

Après avoir été clerc de notaire en province, c’est dans cette rue que mon père[2] avait fait ses débuts à Paris, comme teneur de livres chez un épicier. Dési-

  1. Depuis que ceci est écrit, la maison a fait place à un parc aux huîtres. (Note de Béranger.)
  2. Jean-François de Béranger, né à Flamicourt, près Péronne, le 7 décembre 1751, marié le 10 août 1779 à Marie-Jeanne Champy.