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avec réflexion. Cela, soit dit en passant, n’est pas une contrainte légère pour un rimeur de vingt ans. Il est vrai que j’avais eu assez de patience pour copier deux fois Athalie, étude qui, je le crois, m’a porté bonheur.

Dans une de mes conversations sur la versification française avec M. Lucien, partisan de formes que j’accusais d’être un peu vieillies, pour lui prouver comment j’entendais le style, je lui récitai une quarantaine de vers composés dans une manière opposée à la manière de Delille. Ce poëte était en grande faveur ; mais, malgré l’admirable talent du maître, sa façon d’écrire me semblait, sous certains rapports, fausse et dangereuse. Je parlais, dans ce morceau, de la chute des Bourbons et de l’élévation de Bonaparte ; il s’y trouvait ce passage :


« Le soleil voit, du haut des voûtes éternelles,
Passer dans les palais des familles nouvelles ;
Familles et palais, il verra tout périr[1]. »

  1. Voici le morceau tout entier :

    Nos grandeurs, nos revers, ne sont point notre ouvrage
    Dieu seul mène à son gré notre aveugle courage ;
    Sans honte succombez, triomphez sans orgueil,
    Vous, mortels, qu’il plaça sur un pompeux écueil.
    Des hommes étaient nés pour le trône du monde,
    Huit siècles l’assuraient à leur race féconde :
    Dieu dit ; soudain aux yeux de cent peuples surpris,
    Et ce trône et ces rois confondent leurs débris.
    Les uns sont égorgés, les autres en partage
    Portent, au lieu de sceptre, un bâton de voyage,