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LES GRANDS PROJETS


Air :


J’ai le sujet d’un poème héroïque ;
Qu’avant dix ans le monde en soit doté.
Oui, le front ceint de la couronne épique,
Dans l’avenir fondons ma royauté.

Mais mon sujet prête à la tragédie ;
J’y pourrais prendre un plus rapide essor.
Dialoguons, et ma pièce applaudie
M’enivrera d’honneurs, de gloire et d’or.

La tragédie est un bien long ouvrage ;
L’ode au sujet comme à moi convient mieux.
Riche d’encens, elle en fait le partage
Aux rois d’abord, et, s’il en reste, aux dieux.

Mais l’ode exige un trop grand flux de style ;
Mieux vaut traiter mon sujet en chanson.
Dormez en paix, Pindare, Homère, Eschyle ;
J’ai rêvé d’aigle et m’éveille pinson.

Sans s’amoindrir quel grand projet s’achève ?
Plus d’un génie a dû manquer d’entrain.
Ainsi de tout. Tel qui restreint son rêve
À des chansons, laisse à peine un quatrain.