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Sous sa main, l’orgue austère et tendre
N’a plus rien d’un monde mortel ;
Et les anges, pour mieux l’entendre,
Descendent jusque sur l’autel.

Mais, dans ces pompes de l’Église,
Marie et chancelle et pâlit.
Son cœur, trop plein de Dieu, se brise ;
Sa foi la tue et l’embellit.
Elle tombe aux bras de son père.
Fait homme, il se trouble d’abord,
Comme un de nous se désespère,
Et sent tout le mal de la mort.

Elle n’est plus. Amour, science,
Rien n’y peut : Dieu le voulait donc.
Satan n’eut jamais de souffrance
Qui comptât plus pour son pardon.
Va-t-il sur la foule attendrie
Renverser les murs du saint lieu ?
Non, il voit l’âme de Marie
Remonter brillante à son Dieu.

« S’il lui cache quel est son père,
« Ah ! dit-il, que Dieu soit béni,
« Dans mon royaume, affreux repaire,
« Retombons seul, pauvre banni. »
Là, s’accusant à ses complices
De sa révolte et de leurs torts,
Il souffre de tous les supplices,
Il saigne de tous les remords.

« Pour moi, seule étoile qui brille
« Dans ce ciel que Dieu m’a fermé,
« Pour moi, dit-il, prie, ô ma fille !
« Prie, ô toi qui m’as seule aimé ! »
Mais au ciel le Christ, qui l’écoute,
Voit aux éternelles douleurs
Quel poids le repentir ajoute ;
Et ses yeux en versent des pleurs.

Un de ces pleurs, sources fécondes,
À travers l’amas des soleils,
À travers la foule des mondes
Aux sombres nuits, aux jours vermeils,
À travers tout l’espace immense
Que Dieu peupla dans un instant,
Ce pleur de céleste clémence
Tombe sur le cœur de Satan.

Et soudain l’archange rebelle
Reprend sa gloire et sa beauté,
Et, d’un seul élan de son aile,
Près du Christ il est remonté.
Marie est là pour lui sourire ;
D’amour pur il est abreuvé.
Le mal enfin perd son empire :
La fille d’Ève a tout sauvé.

Le bon moine, après cette histoire,
Poursuit : — Les temps sont révolus.
L’enfer n’est plus qu’un purgatoire
D’où l’on entrevoit les élus.
J’ai chanté sur le char d’Élie,
Avec les séraphins joyeux,
La vierge qui réconcilie
Saints et pécheurs, enfers et cieux.

Madame, à pied je pars pour Rome,
Comme a fait saint Paul autrefois.
Pour prêcher sur le sort de l’homme,
Le pape déliera ma voix.
Le Christ veut qu’en ces murs célèbres
J’aille annoncer aux cœurs aimants
Qu’il n’est plus d’anges des ténèbres,
Qu’il n’est plus d’éternels tourments.