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LA JEUNE FILLE


CHANSON IDYLLE


Air :


D’où naissent mes tourments ? Dieu veut-il que je meure
À quinze ans, grande et belle, en de vagues ennuis ?
Je dors sans reposer ; je m’éveille et je pleure ;
Mon front révèle au jour le trouble de mes nuits.

Au lieu du long sommeil si paisible à mon âge,
J’ai des songes confus où je me sens brûler.
Ils sont en vain pour moi d’un funeste présage :
Je n’y puis rien comprendre et je n’ose en parler.

J’ai perdu cet éclat dont s’enivrait ma mère,
Qui n’a que ses baisers pour calmer ma douleur.
Mais pourquoi les vieillards me plaindre avec mystère ?
Pourquoi les jeunes gens rire de ma pâleur ?

Je rêve, et nul objet n’occupe ma pensée ;
Toujours quelque frayeur sur mes sens vient agir.
Le coupable a-t-il donc l’âme plus oppressée ?
Un coup d’œil m’embarrasse, un mot me fait rougir.

À l’église où je cours, ma main souvent oublie
L’eau qui peut de l’enfer conjurer les desseins ;
Mêlée aux voix du chœur, ma voix meurt affaiblie,
Et j’écoute en pleurant chanter les hymnes saints,

Bien que dans ses apprêts la parure me pèse,
Suis-je parée enfin, je voudrais l’être mieux ;
Et je sens que mon cœur a besoin que je plaise,
Sans trouver doux pourtant de plaire à tous les yeux.

Pour mes oiseaux chéris je n’ai plus de caresses ;
Je néglige mes fleurs, je repousse mon chien.
Verrai-je ainsi finir mes premières tendresses ?
Dieu m’a-t-il condamnée à ne plus aimer rien ?

Mais voici l’étranger dont la voix est si tendre.
Hier, sous la feuillée il a suivi mes pas.
Seul, il chante et soupire. Approchons pour entendre
Si du mal que j’éprouve il ne se plaindrait pas.