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Rossignols, loriots, fauvettes,
Merles, bouvreuils, linots, pinsons,
Cédant au pouvoir de mes sons,
Tous, jusqu’aux folles alouettes,
Venaient, pour prix de leurs chansons,
De mon pain becqueter les miettes.

                    Ils sautaient,
                    S’ébattaient,
                    Coquetaient
                    Et chantaient,
                        Chantaient,
                        Chantaient.

J’avise un merle qui babille :
— Merle, pourquoi fuyez-vous tous,
Quand moi, bon homme, auprès de vous
Je me glissais dans la charmille ;
Moi, qui trouve vos chants si doux,
Qui suis presque de la famille ?

                    Ils sautaient,
                    S’ébattaient,
                    Coquetaient
                    Et chantaient,
                        Chantaient,
                        Chantaient.

— Dieu donna l’air, la terre et l’onde,
Dit le merle, aux seuls animaux.
Nous y vivions exempts de maux ;
Mais chaque race trop féconde
Poussa tant et tant de rameaux,
Qu’on étouffa dans ce bas monde.

                    Ils sautaient,
                    S’ébattaient,
                    Coquetaient
                    Et chantaient,
                        Chantaient,
                        Chantaient.
 
Dieu s’y prit en père économe :
— C’est trop de bêtes à la fois.
À quelqu’un transmettons mes droits ;
Que, sanguinaire et gastronome,
Il en tue au moins deux sur trois.
Parlant ainsi, Dieu créa l’homme.

                    Ils sautaient,
                    S’ébattaient,
                    Coquetaient
                    Et chantaient,
                        Chantaient,
                        Chantaient.

Depuis lors, rois de la nature,
Nous vous fuyons épouvantés
Pour nos jours et nos libertés.
De tout grain vous faites mouture ;
Souvent même à vos majestés
Le rossignol sert de pâture.

                    Ils sautaient,
                    S’ébattaient,
                    Coquetaient
                    Et chantaient,
                        Chantaient,
                        Chantaient.

— Merle, oublions nos droits contraires,
Dis-je, et, grâce à mon talisman,
Aimez-moi, je suis bon tyran,
Sans souci de vos lois agraires.
Ne me fuyez plus ; croyez-m’en :
Oiseaux et poëtes sont frères ;