LES CHANSONNETTES
Brazier, grand merci de ton livre,
De nos beaux jours gai souvenir.
Quoique un peu las déjà de vivre,
Je te chante pour rajeunir.
Que de soupers ! Que d’amourettes !
Que de vrais amis à vingt ans !
C’est là le temps des chansonnettes.
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
Des airs que module une amie,
À vingt ans naît plus d’un refrain.
Nos vers narguent l’Académie,
Nos plaisirs tout censeur chagrin.
La montre d’or paiera nos dettes ;
Que sert de compter les instants ?
C’est là le temps des chansonnettes.
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
Chauve déjà, mais jeune encore,[1]
Je me vois admis au Caveau ;
Là tu fais d’une voix sonore
Applaudir maint couplet nouveau ;
Moi, j’y chante un hymne aux grisettes,
Porte-bonheur de mon printemps.
Vive le temps des chansonnettes !
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
Je vois encor régner à table
Désaugiers, notre maître à tous,
Bon convive si regrettable,
Trop fou des rois, mais roi des fous.
Coulez, bons vins, sautez, fillettes,
À sa voix que toujours j’entends.
Vive le temps des chansonnettes !
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
Moi, depuis, aux vieilles pagodes
J’adressai de vertes leçons.
Si l’on dit que j’ai fait des odes,
N’en crois rien : j’ai fait des chansons.
Est-ce leur faute, les pauvrettes,
Si leur père avait cinquante ans ?
Adieu le temps des chansonnettes !
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
Voisin, l’hiver n’ose t’atteindre :
Ton recueil charmant en fait foi.
Ma gaieté, qu’un rien vient éteindre,
Trouve à se rallumer chez toi.
Oui, grâce à ta muse en goguettes,
Grâce à tes refrains si chantants,
Je rêve au temps des chansonnettes.
Oh ! le bon temps ! oh ! le bon temps !
- ↑ J’avais trente-trois ans.