Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



Ma gaieté, bonne égrillarde
D’un garçon malingre et vieux,
Devait me servir de garde,
Devait me fermer les yeux.
De ses traits qui n’a mémoire ?
Pour me la voir ramener,
Si j’en avais à donner,
Je donnerais de la gloire.
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.

Je lui dus, vaille que vaille,
Ces chants que le prisonnier
A tant redits sur sa paille
Et le pauvre en son grenier.
La folle, franchissant l’onde,
Brave et railleuse à Paris,
Allait rendre à nos proscrits
L’espérance au bout du monde.
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.

« Cessez à de folles têtes
« D’inspirer vos désespoirs,
« Disait-elle aux grands poëtes ;
« Le génie a ses devoirs.
« Qu’il brille au vaisseau qui sombre,
« Comme un phare bienfaisant.
« Je ne suis qu’un ver luisant,
« Mais je rends la nuit moins sombre. »
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.

Du luxe elle avait la haine,
Philosophait même un peu ;
En petit cercle et sans gêne
S’ébattait au coin du feu.
Que son rire avait de charmes !
J’en pleurais épanoui.
Le rire est évanoui ;
Il n’est resté que les larmes.
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.

Elle exaltait la jeunesse,
Les cœurs chauds, les doux penchants,
Ne comptait dans notre espèce
Que des fous, point de méchants.
En dépit des sots rigides,
Qu’elle dépouilla de fois
La raison de ses airs froids,
La sagesse de ses rides !
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.

Mais nous désertons la gloire,
Mais l’or seul nous fait des dieux ;
Aux méchants si j’allais croire !
Gaieté, reviens au bon vieux.
Tout sans toi me rend à plaindre.
Las ! mon cerveau se transit ;
Ma voix meurt, mon feu noircit.
Et ma lampe va s’éteindre.
Au logis ramenez-la,
Vous tous qu’elle consola.