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« Frères, à moi ! vous vantiez ma vaillance.
« Je vous chéris ; mon sang l’a bien prouvé.
« Ah ! qu’il m’en reste à verser pour la France !
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

Point de secours ! et sa main défaillante
Lâche son guide : adieu, Pologne, adieu !
Mais un doux rêve, une image brillante
Dans son esprit descend du sein de Dieu.
« Que vois-je ? enfin, l’aigle blanc se réveille,
« Vole, combat, de sang russe abreuvé.
« Un chant de gloire éclate à mon oreille.
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

Point de secours ! il n’est plus, et la rive
Voit l’ennemi camper dans ses roseaux.
Ces temps sont loin, mais une voix plaintive
Dans l’ombre encore appelle au fond des eaux ;
Et depuis peu (grand Dieu, fais qu’on me croie !),
Jusques au ciel son cri s’est élevé.
Pourquoi ce cri que le ciel nous renvoie :
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »

C’est la Pologne et son peuple fidèle
Qui tant de fois a pour nous combattu ;
Elle se noie au sang qui coule d’elle,
Sang qui s’épuise en gardant sa vertu.
Comme ce chef mort pour notre patrie,
Corps en lambeaux dans l’Elster retrouvé,
Au bord du gouffre un peuple entier nous crie :
« Rien qu’une main, Français, je suis sauvé ! »