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Râpait, râpait l’habit du chansonnier.
Venait l’hiver ; le bois manquait à l’âtre ;
La vitre, au nord, étincelait de fleurs ;
II grelottait, mais sa muse folâtre
Du pauvre peuple allait sécher les pleurs.

De l’œil des rois on a compté les larmes ;
Les yeux du peuple en ont trop pour cela :
La France alors pleurait l’éclat des armes
Et les grandeurs dont le cours l’ébranla.
Ta voix, Émile, évoquant notre histoire,
Du cabaret ennoblit les échos ;
C’était l’asile où se cachait la gloire :
Le pauvre peuple aime tant les héros !

Bien jeune, hélas ! il descend dans la fosse.
Je l’ai conduit où vieux j’irai demain.
Chantant au loin, des buveurs à voix fausse
Aux noirs pensers m’arrachaient en chemin.
C’étaient ses chants que disait leur ivresse,
Chants que leurs fils sauront bien rajeunir.
De son passage est-il un roi qui laisse
Au pauvre peuple un si doux souvenir ?

De sa famille allégez l’indigence ;
Riches et grands, achetez ce recueil.
À tant d’esprit passez la négligence :
Ah ! du talent le besoin est l’écueil.
Ne soyez point ingrats pour nos musettes ;
Songez aux maux que nous adoucissons.
Pour s’en tenir au lot que vous lui faites,
Le pauvre peuple a besoin de chansons.