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À MES AMIS
DEVENUS MINISTRES



Non, mes amis, non, je ne veux rien être ;
Semez ailleurs places, titres et croix.
Non, pour les cours Dieu ne m’a pas fait naître :
Oiseau craintif je fuis la glu des rois.
Que me faut-il ? maîtresse à fine taille,
Petit repas et joyeux entretien.
De mon berceau près de bénir la paille,
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Un sort brillant serait chose importune
Pour moi, rimeur, qui vis de temps perdu.
M’est-il tombé des miettes de fortune,
Tout bas je dis : Ce pain ne m’est pas dû.
Quel artisan, pauvre, hélas ! quoi qu’il fasse,
N’a plus que moi droit à ce peu de bien ?
Sans trop rougir fouillons dans ma besace.
En me créant Dieu m’a dit : Ne sois rien.

Au ciel, un jour, une extase profonde
Vient me ravir, et je regarde en bas.
De là, mon œil confond dans notre monde
Rois et sujets, généraux et soldats.