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Naguère encor, toi qui vivais d’aumônes,
Déjà l’orgueil rugit dans tes discours.
Achète au poids et sceptres et couronnes.
Tout l’or pour toi, mais rends-moi mes beaux jours.

Oui, rends-moi-les avec leur indigence ;
Rends à mon âme un corps plus vigoureux ;
À mon esprit ôte l’expérience ;
Souffle en mon cœur un sang plus généreux.
Puis t’échappant de ton palais de marbre,
En char pompeux bercé sur le velours,
Vois-moi dormir, heureux au pied d’un arbre.
Tout l’or pour toi, mais rends-moi mes beaux jours.

Je sais pourtant ce que vaut la richesse ;
Mais j’aime encor ; je possède et, cent fois,
J’ai craint de voir ma trop jeune maîtresse
Compter mes ans et les siens par ses doigts.
C’est du soleil qui sied à sa peau brune ;
C’est de l’été qu’il faut à nos amours.
Celle que j’aime est sourde à la fortune.
Tout l’or pour toi, mais rends-moi mes beaux jours.

Mais au creuset ta main que trouve-t-elle ?
Rien ! te voilà plus pauvre et moi plus vieux.
« Non, non, dis-tu ; demain, lune nouvelle ;
« Recommençons ; demain nous serons dieux. »
Tu mens, vieillard ; mais d’erreurs caressantes
J’ai tant besoin, que je te crois toujours.
Sur mon front nu, vois ces rides naissantes.
Tout l’or pour toi, mais rends-moi mes beaux jours.