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Il est, Sophie, un monstre à l’œil perfide[1],
Qui de Venise ensanglanta les lois ;
Il tend la main au salaire homicide,
Souffle la peur dans l’oreille des rois ;
Il veut tout voir, tout entendre, tout lire,
Cherche le mal et l’invente toujours ;
D’un sceau fragile il amollit la cire.
Plus de secret, même pour les amours !

Ces mots tracés pour toi seule, ô Sophie !
Son œil affreux avant toi les lira.
Ce qu’au papier ma tendresse confie
Ira grossir un complot qu’il vendra.
Ou bien, dit-il, de ce couple qui s’aime
Livrons la vie aux sarcasmes des cours,
Et déridons l’ennui du diadème.
Plus de secret, même pour les amours !

Saisi d’effroi, je repousse la plume
Qui de l’absence eût charmé la douleur.
Pour le cachet la cire en vain s’allume,
On le rompra ; j’aurai fait ton malheur.
Par le grand roi qui trahit La Vallière,
Ce lâche abus fut transmis à nos jours[2].
Cœurs amoureux, maudissez sa poussière.
Plus de secret, même pour les amours !

  1. La police. On fait honneur de son invention au gouvernement inquisitorial de Venise.
  2. L’établissement du Cabinet noir, où le secret des lettres fut tant de fois violé, remonte au règne de Louis XIV. Son successeur se faisait un amusement des révélations scandaleuses qu’on arrachait ainsi aux correspondances particulières.

    Après la révolution de Juillet, le Cabinet noir fut supprimé.