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grâces : ce fut le temps où il se mêla de plus près à toutes les classes et à toutes les conditions populaires ; où, dépouillant sans retour le factice et le convenu de la société, il imposa à ses besoins des limites étroites qu’ils n’ont plus franchies, trouvant moyen d’y laisser place pour les naïves jouissances. Ce fut le temps enfin du Grenier, des amis joyeux, de la reprise au revers du vieil habit ; l’aurore du règne de Lisette, de cette Lisette, infidèle et tendre comme Manon et aimée comme elle, et dont il a dit plus tard, en écrivant à une amie : « Si vous m’aviez donné à deviner quel vers vous avait choquée dans le Grenier


« J’ai su depuis qui payait sa toilette…


je vous l’aurais dit. Ah ! ma chère amie, que nous entendons l’amour différemment ! à vingt ans, j’étais à cet égard comme je suis aujourd’hui. Vous avez donc une bien mauvaise idée de cette pauvre Lisette ? Elle était cependant si bonne fille ! si folle, si jolie ! je dois même dire si tendre ! Eh quoi ! parce qu’elle avait une espèce de mari qui prenait soin de sa garde-robe, vous vous fâchez contre elle ! vous n’en auriez pas eu le courage si vous l’aviez vue alors. Elle se mettait avec tant de goût, et tout lui allait si bien ! D’ailleurs elle n’eût pas mieux demandé que de tenir de moi ce qu’elle était obligée d’acheter d’un autre. Mais comment faire ? moi, j’étais si pauvre ! la plus petite partie de plaisir me forçait à vivre de panade pendant huit jours, que je faisais moi-même tout en entassant rime sur rime, et plein de l’espoir d’une gloire future. Rien