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EN PRISON À BERLIN

Quant à M. Tager, c’était un homme d’environ 50 ans qui était venu à Berlin, muni d’un sauf-conduit du ministre allemand en Suisse. Il devait retourner en France, à Paris où il demeurait, mais un beau matin il était appréhendé, on l’amena à la Stadtvogtei et il ignora lui-même, durant toute sa captivité qui se prolongea durant des mois, quel était le motif de son internement. Pour ma part, je n’en vois pas d’autre que ses sentiments francophiles.

Un jour, on lui annonça qu’il quitterait la prison pour un camp d’officiers français. Le jour de son départ avait été fixé au 7 décembre 1915. Durant son court ( ?) séjour, quelques mois parmi nous, M. Tager avait conquis l’estime de tous les prisonniers de nationalité anglaise. J’étais le seul cependant à qui il se soit ouvert d’une confidence, à son sujet. Il m’avait appris un jour, sous le sceau du plus grand secret qu’il était Grand Rabbi du Turkestan. À juger par la façon dont il prononçait ces mots, on aurait pu croire que ce titre, en pays mahométan, équivalait à celui de Lord, en Angleterre. Il me supplia de n’en desserrer les dents à qui que ce soit.

Toutefois, les Anglais s’étaient réunis dans une cellule et avaient décidé de lui offrir un déjeûner à la prison le jour de son départ. Offrir un déjeûner à la prison, quelle entreprise formidable !

Le jour convenu, une table était préparée à ma cellule pour une quinzaine de couverts. Les assiettes, — ai-je besoin de le dire ? étaient fort rapprochées