Page:Béland - Mille et un jours en prison à Berlin, 1919.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
MILLE ET UN JOURS

vraie harangue de tribune, prononcée d’une petite voix nasillarde mais très prenante.

On imagine combien nous étions tous amusés de cet incident dont nous pouvions être témoins en regardant à travers nos fenêtres. Le général écoutait, paraissait entendre, et faisait de la tête quelques petits signes affirmatifs. Au cours de sa harangue, Kluss fit une remarque des plus blessantes à l’endroit de l’autorité militaire allemande, comparant les méthodes employées contre lui aux méthodes les plus barbares du moyen-âge. Un officier qui, lui, n’était pas sourd, tenta de lui imposer silence, mais rien ne pouvait arrêter le tribun lancé au plus fort de son éloquence. Il ignora la protestation de l’officier et continua sa harangue.

Quand il eut fini, le général qui, évidemment, n’avait rien compris, dit simplement : — « Ah ! oui ! Très bien !… » puis se disposa à se retirer. Kluss, ne voulant pas lui permettre de s’éclipser ainsi, se lança à sa poursuite en criant : — « Quelle réponse me donnez-vous ? Une réponse, s’il vous plaît ?… » Le général, s’apercevant qu’il est de nouveau apostrophé, se retourne et dit : — « Ah ! oui ! Très bien ! » Il rentre, cette fois dans l’intérieur de la prison, et nous ne l’avons plus revu. Kluss était furieux. Il reçut les félicitations de tous ceux qui, tout en étant sujets allemands, se considéraient comme les victimes d’une injustice flagrante de la part de leur gouvernement.

Kluss, entre parenthèse, était un fervent admirateur de Herr Karl Liebknecht. Il mourut quelques mois seulement après son élargissement.